Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/331

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
315
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

qui, pour leur malheur, lui arrivaient pauvres, et qui ne pouvaient autant l’engraisser qu’il aurait voulu. Il traitait ces malheureux pire que des bêtes ; mais quand je le voyais, je lui adressais des reproches et le disais à mon père, mon cœur ne pouvant supporter de pareils traitements envers mon semblable. Lui (Mandricardo) était bon seulement avec ceux qui leur donnaient la buona mancia et lui donnaient bien à manger ; le ciel lui pardonne ! mais il aura à rendre compte de ses mauvaises actions envers ses semblables, et de la haine qu’il me portait à cause des remontrances que je lui faisais. Pour un tel mauvais sujet Silvio a eu des délicatesses, et pour moi, qui ne méritais pas d’être exposée, il n’a pas eu le moindre égard.

« Mais moi je saurai bien recourir où il me sera fait une véritable justice ; je n’entends pas, je ne veux pas être, soit en bien, soit en mal, nommée en public.

« Je suis heureuse dans les bras d’un mari qui m’aime tant, et qui est vraiment et vertueusement payé de retour. Il connaît bien non-seulement ma conduite, mais mes sentiments. Et je devrai, à cause d’un homme qui juge à propos de m’exploiter dans l’intérêt de ses écrits mal fondés et remplis de faussetés… !

« Silvio me pardonnera ma fureur, mais il devait s’y attendre, alors que je viendrais à connaître clairement sa conduite à mon égard.

« Voilà la récompense de tout ce qu’a fait ma famille, l’ayant traité (Pellico) avec cette humanité que mérite chaque créature tombée en une pareille