Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
346
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Prague, 30 septembre 1833.

Ma lettre à madame la duchesse de Berry indiquait les faits généraux, mais elle n’entrait pas dans les détails.

Quand je vis madame de Gontaut, au milieu des malles à moitié faites et des vaches ouvertes, elle se jeta à mon cou, et en sanglotant : « Sauvez-moi ! Sauvez-nous ! disait-elle. — Et de quoi vous sauver, madame ? J’arrive, je ne sais rien de rien. » Hradschin était désert ; on eût dit des journées de Juillet et de l’abandon des Tuileries, comme si les révolutions s’attachaient aux pas de la race proscrite.

Des jeunes gens viennent féliciter Henri sur le jour de sa majorité[1] ; plusieurs sont sous le coup

  1. La majorité des rois de France était fixée, par les anciennes lois de la monarchie, à l’âge de quatorze ans commencés : ce fut le souvenir de cette loi qui décida plusieurs centaines de Français à venir à la fois, à cinq cents lieues de leur pays, visiter l’exil de la branche aînée des Bourbons. Il y avait dans cette manifestation quelque chose d’hostile à la dynastie nouvelle. Le gouvernement de Juillet ne se fit donc pas faute — et, après tout, c’était assez naturel, — de susciter aux voyageurs quelques tracasseries. Il obtint du gouvernement autrichien qu’un assez grand nombre d’entre eux fussent ramenés aux frontières. À Francfort, à Munich, les chargés d’affaires du roi Louis-Philippe refusèrent les visas nécessaires ; à Pilsen et à Waldmünchen, il y en eut plusieurs de retenus, comme aussi à Mayence et à Égra. Cette petite manifestation était, d’ailleurs, presque aussi mal vue à Prague qu’à Paris. Le roi Charles X et son fils le Dauphin avaient abdiqué à Rambouillet, et ils ne songeaient point à retirer cette abdication ; seulement, pour maintenir l’irresponsabilité morale du duc de Bordeaux, et aussi pour rendre plus aisés les rapports de l’exil avec les cabinets, et en particulier avec celui de Vienne, ils voulaient conserver, sur la terre étrangère, un titre qui leur semblait inséparable de celui de chefs de la famille de Bourbon. Le voyage des jeunes Français venus