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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

est pourrie. Le chef inauguré à la maison de ville n’a jamais songé qu’à lui : il sacrifie les Français à ce qu’il croit être sa sûreté. Quand on raisonne sur ce qui conviendrait à la grandeur de la patrie, on oublie la nature du souverain ; il est persuadé qu’il périrait par les moyens qui sauveraient la France ; selon lui, ce qui ferait vivre la royauté tuerait le roi. Du reste, nul n’a le droit de le mépriser, car tout le monde est au niveau du même mépris. Mais, quelles que soient les prospérités qu’il rêve en dernier résultat, ou lui, ou ses enfants ne prospéreront pas, parce qu’il délaisse les peuples dont il tient tout. D’un autre côté, les rois légitimes, délaissant les rois légitimes, tomberont : on ne renie pas impunément son principe. Si des révolutions ont été un instant détournées de leur cours, elles n’en viendront pas moins grossir le torrent qui cave l’ancien édifice : personne n’a joué son rôle, personne ne sera sauvé.

Puisque aucun pouvoir parmi nous n’est inviolable, puisque le sceptre héréditaire est tombé quatre fois depuis trente-huit années, puisque le bandeau royal attaché par la victoire s’est dénoué deux fois de la tête de Napoléon, puisque la souveraineté de Juillet a été incessamment assaillie, il faut en conclure que ce n’est pas la république qui est impossible, mais la monarchie.

La France est sous la domination d’une idée hostile au trône : un diadème dont on reconnaît d’abord l’autorité, puis que l’on foule aux pieds, que l’on reprend ensuite pour le fouler aux pieds de nouveau, n’est qu’une inutile tentation et un symbole de désordre. On impose un maître à des hommes qui sem-