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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

chirant, déclarent que le parti qu’ils égorgent est un parti de coquins. Voyez ce que madame Roland dit de Condorcet, ce que Barbaroux, principal acteur du 10 août, pense de Marat, ce que Camille Desmoulins écrit contre Saint-Just. Faut-il apprécier Danton d’après l’opinion de Robespierre, ou Robespierre d’après l’opinion de Danton ? Lorsque les conventionnels ont une si pauvre idée les uns des autres, comment, sans manquer au respect qu’on leur doit, avoir une opinion différente de la leur ?

Dans son esprit matériel, le jacobinisme ne s’aperçoit pas que la Terreur a failli, faute d’être capable de remplir les conditions de sa durée. Elle n’a pu arriver à son but, parce qu’elle n’a pu faire tomber assez de têtes ; il lui en aurait fallu quatre ou cinq cent mille de plus ; or, le temps manque à l’exécution de ces longs massacres ; il ne reste que des crimes inachevés dont on ne saurait cueillir le fruit, le dernier soleil de l’orage n’ayant pas fini de le mûrir.

Le secret des contradictions des hommes du jour est dans la privation du sens moral, dans l’absence d’un principe fixe et dans le culte de la force : quiconque succombe est coupable et sans mérite, du moins sans ce mérite qui s’assimile aux événements. Derrière les phrases libérales des dévots de la Terreur, il ne faut voir que ce qui s’y cache : le succès divinisé. N’adorez la Convention que comme on adore un tyran. La Convention renversée, passez avec votre bagage de libertés au Directoire, puis à Bonaparte, et cela sans vous douter de votre métamorphose, sans que vous pensiez avoir changé. Drama-