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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

le vertueux duc de Doudeauville[1] me l’a racontée, la tenant de la bouche du même M. de Montesquiou, son beau-frère ; M. le comte de Cessac[2], présent à cette scène, la répète à qui veut l’entendre ; il croyait qu’au sortir du cabinet, le grand électeur serait arrêté. Napoléon s’écriait dans sa colère, interpellant son pâle ministre : « Il vous sied bien de crier contre la guerre d’Espagne, vous qui me l’avez conseillée, vous dont j’ai un monceau de lettres dans lesquelles vous cherchez à me prouver que cette guerre était aussi nécessaire que politique[3]. » Ces lettres ont disparu

  1. La Rochefoucauld (Ambroise-Polycarpe de), duc de Doudeauville (1765-1841) ; directeur général des postes (1822-1824), ministre de la maison du roi (1824-1827). Appelé le 4 juin 1814, à faire partie de la Chambre des pairs, il s’en était retiré le 9 janvier 1831.
  2. Lacuée (Jean-Girard), comte de Cessac (1752-1841). Il avait été sous Napoléon, inspecteur général aux revues (1806), ministre d’État (1807), et, de 1810 à 1813, ministre de l’administration de la guerre. Il était membre de l’Académie française.
  3. Sur les colères de Napoléon contre Talleyrand à l’occasion de la guerre d’Espagne, on trouve un bien curieux témoignage dans les Souvenirs du comte Rœderer. Celui-ci raconte une conversation qu’il eut avec l’Empereur, à l’Élysée, le 6 mars 1809. Le sujet de la conversation était le roi Joseph qui, de Madrid, dans des lettres à sa femme et à Napoléon, se plaignait de son frère et menaçait de quitter là le trône d’Espagne pour aller planter ses choux à Mortefontaine. Napoléon, dans ce tête-à-tête avec Rœderer, se promenait de long en large, s’animait par degrés, en parlant du contenu de ces lettres : « Il y dit qu’il veut aller à Mortefontaine, plutôt que de rester dans un pays acheté par du sang injustement répandu… Et qu’est-ce donc que Mortefontaine ? C’est le prix du sang que j’ai versé en Italie. Le tient-il de son père ? Le tient-il de ses travaux ? Il le tient de moi. Oui, j’ai versé du sang, mais c’est le sang de mes ennemis, des ennemis de la France. Lui convient-il de parler leur langage ? Veut-il faire comme Talleyrand ? Talleyrand ! Je l’ai couvert d’honneurs, de richesses, de diamants. Il a employé tout cela contre moi. Il