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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Il résulte des négociations de M. de Talleyrand que nous sommes demeurés sans frontières : une bataille perdue à Mons ou à Coblentz amènerait en huit jours la cavalerie ennemie sous les murs de Paris. Dans l’ancienne monarchie, non-seulement la France était fermée par un cercle de forteresses, mais elle était défendue sur le Rhin par les États indépendants de l’Allemagne. Il fallait envahir les électorats ou négocier avec eux pour arriver jusqu’à nous. Sur une autre frontière, la Suisse était pays neutre et libre ; il n’avait point de chemins ; nul ne violait son territoire. Les Pyrénées étaient impassables, gardées par les Bourbons d’Espagne. Voilà ce que M. de Talleyrand n’a pas compris ; telles sont les fautes qui le condamneront à jamais comme homme politique : fautes qui nous ont privés en un jour des travaux de Louis XIV et des victoires de Napoléon.

On a prétendu que sa politique avait été supérieure à celle de Napoléon : d’abord, il faut bien se mettre dans l’esprit qu’on est purement et simplement un commis lorsqu’on tient le portefeuille d’un conquérant, qui chaque matin y dépose le bulletin d’une victoire et change la géographie des États. Quand Napoléon se fut enivré, il fit des fautes énormes et frappantes à tous les yeux : M. de Talleyrand les aperçut vraisemblablement comme tout le monde ; mais cela n’indique aucune vision de lynx. Il se compromit d’une manière étrange dans la catastrophe du duc d’Enghien ; il se méprit sur la guerre d’Espagne de

    me semble pas justifiée, en ce qui concerne la conduite du célèbre diplomate au Congrès de Vienne. — Voir l’Appendice no V : le Prince de Talleyrand et les traités de Vienne.