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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/439

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

1808, bien qu’il ait voulu plus tard nier ses conseils et reprendre ses paroles.

Cependant un acteur n’est pas prestigieux, s’il est tout à fait dépourvu des moyens qui fascinent le parterre : aussi la vie du prince a-t-elle été une perpétuelle déception. Sachant ce qu’il lui manquait, il se dérobait à quiconque le pouvait connaître : son étude constante était de ne pas se laisser mesurer ; il faisait retraite à propos dans le silence ; il se cachait dans les trois heures muettes qu’il donnait au whist. On s’émerveillait qu’une telle capacité pût descendre aux amusements du vulgaire : qui sait si cette capacité ne partageait pas des empires en arrangeant dans sa main les quatre valets ? Pendant ces moments d’escamotage, il rédigeait intérieurement un mot à effet, dont l’inspiration lui venait d’une brochure du matin ou d’une conversation du soir. S’il vous prenait à l’écart pour vous illustrer de sa conversation, sa principale manière de séduire était de vous accabler d’éloges, de vous appeler l’espérance de l’avenir, de vous prédire des destinées éclatantes, de vous donner une lettre de change de grand homme tirée sur lui et payable à vue ; mais trouvait-il votre foi en lui un peu suspecte, s’apercevait-il que vous n’admiriez pas assez quelques phrases brèves à prétention de profondeur, derrière lesquelles il n’y avait rien, il s’éloignait, de peur de laisser arriver le bout de son esprit. Il aurait bien raconté, n’était que ses plaisanteries tombaient sur un subalterne ou sur un sot dont il s’amusait sans péril, ou sur une victime attachée à sa personne et plastron de ses railleries. Il ne pouvait suivre une con-