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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

je suis sincère ; voici ce qui m’est arrivé : de mes projets, de mes études, de mes expériences, il ne m’est resté qu’un détromper complet de toutes les choses que poursuit le monde. Ma conviction religieuse, en grandissant, a dévoré mes autres convictions ; il n’est ici-bas chrétien plus croyant et homme plus incrédule que moi. Loin d’être à son terme, la religion du Libérateur entre à peine dans sa troisième période, la période politique, liberté, égalité, fraternité. L’Évangile, sentence d’acquittement, n’a pas été lu encore à tous ; nous en sommes encore aux malédictions prononcées par le Christ : « Malheur à vous qui chargez les hommes de fardeaux qu’ils ne sauraient porter, et qui ne voudriez pas les avoir touchés du bout du doigt ! »

Le christianisme, stable dans ses dogmes, est mobile dans ses lumières ; sa transformation enveloppe la transformation universelle. Quand il aura atteint son plus haut point, les ténèbres achèveront de s’éclaircir ; la liberté, crucifiée sur le Calvaire avec le Messie, en descendra avec lui ; elle remettra aux nations ce nouveau testament écrit en leur faveur et jusqu’ici entravé dans ses clauses. Les gouvernements passeront, le mal moral disparaîtra, la réhabilitation annoncera la consommation des siècles de mort et d’oppression nés de la chute.

Quand viendra ce jour désiré ? Quand la Société se recomposera-t-elle d’après les moyens secrets du principe générateur ? Nul ne le peut dire ; on ne saurait calculer les résistances des passions.

Plus d’une fois la mort engourdira des races, versera le silence sur les événements comme la neige tombée pendant la nuit fait cesser le bruit des chars.