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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

soulagement des indigents, elle se vit adoptée par eux pour la mère la plus tendre. « Un jour, raconte sa fille, maman m’annonça que nous allions aller voir une de nos parentes, tombée du faîte de la prospérité dans la plus affreuse misère. Je trouvai le chemin fort long, et, en montant l’espèce d’échelle tournante qui conduisait à son triste réduit, j’étais prête à pleurer sur les vicissitudes humaines. La porte s’ouvre ; j’étais en peine s’il fallait appeler la dame du nom de tante ou de cousine, lorsqu’une femme couverte de haillons, de la figure la plus basse, avec le ton et les manières les plus ignobles, s’avança vers nous. Son aspect m’étonna d’abord, et tout ce qui l’entourait acheva de me déconcerter ; mais telle était ma prévention que je voulais absolument découvrir en elle quelque trace d’une noble origine. Trois quarts d’heure que nous passâmes avec elle furent employés par moi dans cette infructueuse recherche, et je sortis confondue. Mon premier soin fut de demander à ma mère le nom de cette étrange parente et de quel côté nous pouvions lui appartenir. — Ma fille, me répondit-elle, cette femme est comme nous fille d’Adam et d’Ève, et nous sommes déchus comme elle. Jamais mon orgueil n’a reçu une meilleure leçon. »

La juste réputation de mérite et de vertu que madame de Farcy s’était acquise, la rendait comme naturellement le conseil bienveillant de jeunes personnes qui répandaient dans son sein leurs troubles et leurs inquiétudes : « Ne croyez point aimer d’une manière criminelle, disait-elle à l’une, aussitôt que l’on vous plaît. Ne vous faites point des idées romanesques