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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE
et expliquera mieux que toute autre chose le but de mon voyage. Je serai heureux et fier de montrer auprès de moi un homme dont le nom est une des gloires de la France, et qui l’a si noblement représentée dans le pays que je vais visiter. — Venez donc, Monsieur le Vicomte, et croyez bien à toute ma reconnaissance et au plaisir que j’aurai à vous parler de vive voix des sentiments de haute estime et d’attachement dont j’aime à vous renouveler ici la bien sincère assurance.

Malade, presque paralysé par la goutte, le vieillard fut ému, jusqu’aux larmes, par l’invitation du jeune prince :

À une pareille lettre, disait-il, on répond en se faisant, s’il le faut, porter dans son cercueil.

Il partit pour l’Angleterre le 22 novembre. Le prince ne devait arriver à Londres que huit jours plus tard, le 29. Le 30, un grand nombre de royalistes français, ayant à leur tête le duc Jacques de Fitz-James, se rendirent chez Chateaubriand pour lui offrir leurs hommages et le remercier d’être venu. Soudain la porte s’ouvre et le comte de Chambord paraît, accompagné de Berryer et du duc de Valmy :

Messieurs, dit-il aux assistants, j’ai appris que vous étiez réunis chez M. de Chateaubriand, et j’ai voulu venir ici vous rendre visite… Je suis si heureux de me trouver au milieu des Français ! J’aime la France, parce que la France est ma patrie, et si jamais mes pensées se sont dirigées vers le trône de mes ancêtres, ce n’a été que dans l’espoir qu’il me serait possible de servir mon pays avec ces principes et ces sentiments si glorieusement proclamés par M. de Chateaubriand, et qui s’honorent encore de tant et de si nobles défenseurs dans votre terre natale.

Cette scène remua profondément Chateaubriand. Le jour même il écrit à Mme Récamier :

Je viens de recevoir la récompense de toute ma vie : le prince a daigné parler de moi, au milieu d’une foule de Français, avec une effusion digne de sa jeunesse. Si je savais raconter, je vous