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VIE DE RANCÉ

un peu de pain. La colonie s’arrêta à Saint-Cyr ; elle fut accueillie par l’hospitalité expirante des Lazaristes, et fut bientôt obligée de s’éloigner. Le vœu de silence et de pauvreté paraissait une conspiration à ceux qui faisaient de si horribles bruits. À Paris, les chartreux, prêts à se séparer, reçurent les trappistes : les cloîtres de Saint-Bruno exercèrent leur dernier acte de charité. La solitude ambulante continua sa route. La vue d’une église lointaine sur le passage des frères les ranimait ; ils bénissaient la maison du Seigneur par la récitation des psaumes, comme on entend parmi les nuages des cygnes sauvages saluer en passant les savanes des Florides. À la frontière, la charrette qui traînait les bannis au ciel fut regardée avec compassion par nos soldats. On ne fouilla point ces mendiants. En entrant sur le sol étranger, les exilés se donnèrent le baiser de charité dans une forêt, à une lieue de l’ancienne abbaye de la Val-Sainte ils coupèrent une branche d’arbre, en firent une croix, et reçurent le curé de Cerniat qui venait à leur rencontre.

À la Val-Sainte, ruine d’un monastère abandonné, ils trouvèrent à peine de quoi se mettre à l’abri. Dans un temps où les armes, les malheurs