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LIVRE TROISIÈME

et les crimes faisaient tant de fracas, la renommée des solitaires se répandit au dehors ; les rois fuyaient et n’attiraient personne sur leurs traces : on accourait de toutes parts pour se ranger au nombre des moines réfugiés. La Val-Sainte, grossie de néophytes, fut obligée d’envoyer des colonies au dehors comme une ruche répand autour d’elle ses essaims. Mais la révolution, qui marchait plus vite que la religion fugitive, atteignit les trappistes dans leur nouvelle retraite : obligés de quitter Val-Sainte, chassés de royaume en royaume, par le torrent qui les poursuivait, ils arrivèrent jusqu’à Butschirad, où j’ai rencontré un autre exilé. Enfin, le sol leur manquant, ils passèrent en Amérique. C’était un grand spectacle que le monde et la solitude fuyant à la fois devant Bonaparte. Le conquérant, rassuré par ses victoires, sentit la nécessité des maisons religieuses : « Là, disait-il, se pourront réfugier ceux à qui le monde ne convient pas ou qui ne conviennent pas au monde. »

Dom Gustin, trappiste fugitif, racheta les ruines de la Trappe avec des aumônes. Il ne restait plus du monastère que la pharmacie, le moulin et quelques bâtiments d’exploitation. Dans les environs de Bayeux, les trappistines, chassées d’a-