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LIVRE QUATRIÈME

faire aimer la mort, Rancé ajoute : « Je ne doute pas, mes frères, que vos pensées ne vous portent du côté du désert ; mais il faut modérer votre zèle. Les temps sont passés ; les portes des solitudes sont fermées, la Thébaïde n’est plus ouverte. »

C’était vrai ; mais les ordres religieux avaient rebâti dans leurs couvents la Thébaïde, ils avaient représenté dans leurs cloîtres les palmiers des sables. Les monastères étaient des pépinières où l’on élevait les plantes divines, où elles prenaient leur accroissement avant d’être transplantées. Ainsi, lorsqu’on descendait de la montagne et que l’on était près d’entrer dans Clairvaux, on reconnaissait Dieu de toutes parts. On trouvait au milieu du jour un silence pareil à celui du milieu de la nuit : le seul bruit qu’on y entendait était le son des différents ouvrages des mains ou celui de la voix des frères lorsqu’ils chantaient les louanges du Seigneur. La renommée seule de cette grande aphonie imprimait une telle révérence que les séculiers craignaient de dire une parole. Une forêt resserrait le monastère. Les viandes dont on se nourrissait n’avaient d’autre goût que celui que la faim leur donnait.

Rancé passe à l’explication des trois vœux de