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VIE DE RANCÉ

roi martyr, est à lui seul toute l’histoire de France de son temps.

Mais peut-être qu’une correspondance particulière entre deux personnes qui se sont aimées offre encore quelque chose de plus triste ; car ce ne sont plus les hommes, c’est l’homme que l’on voit.

D’abord les lettres sont longues, vives, multipliées ; le jour n’y suffit pas : on écrit au coucher du soleil ; on trace quelques mots au clair de la lune, chargeant sa lumière chaste, silencieuse, discrète, de couvrir de sa pudeur mille désirs. On s’est quitté à l’aube ; à l’aube on épie la première clarté pour écrire ce que l’on croit avoir oublié de dire. Mille serments couvrent le papier, où se reflètent les roses de l’aurore ; mille baisers sont déposés sur les mots qui semblent naître du premier regard du soleil : pas une idée, une image, une rêverie, un accident, une inquiétude qui n’ait sa lettre.

Voici qu’un matin quelque chose de presque insensible se glisse sur la beauté de cette passion, comme une première ride sur le front d’une femme adorée. Le souffle et le parfum de l’amour expirent dans ces pages de la jeunesse, comme une brise le soir s’endort sur des fleurs : on s’en aperçoit