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VIE DE RANCÉ

de la croix ; il fit ensuite une confession générale. Il supplia l’évêque de Séez d’obtenir la protection royale en faveur de la discipline monastique de l’abbaye, ajoutant que dans toutes les autres choses il souhaitait que la Trappe fût complètement oubliée.

Cette famille de la religion autour de Rancé avait la tendresse de la famille naturelle et quelque chose de plus ; l’enfant qu’elle allait perdre était l’enfant qu’elle allait retrouver : elle ignorait ce désespoir qui finit par s’éteindre devant l’irréparabilité de la perte. La foi empêche l’amitié de mourir ; chacun en pleurant aspire au bonheur du chrétien appelé ; on voit éclater autour du juste une pieuse jalousie, laquelle a l’ardeur de l’envie, sans en avoir le tourment.

Rancé, apercevant un religieux qui pleurait, lui tendit la main, et lui dit : « Je ne vous quitte pas, je vous précède. » Le Tasse avait adressé les mêmes mots aux frères qui l’environnaient à Saint-Onuphre. Rancé demanda d’être enterré dans la terre la plus abandonnée et la plus déserte : sur un champ de bataille où l’on n’entend plus de bruit, on voit sortir du sol les pieds de quelques soldats.

Job mourut dans le petit réduit qu’il s’était fait, comme le palmier dont les branches sont