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LIVRE PREMIER

était laide ; elle avait les dents noires, ce dont elle s’enorgueillissait comme d’une preuve de sa descendance. Sous le cardinal de Richelieu, Mademoiselle avait déjà paru dans le ballet du Triomphe de la beauté : elle représentait la Perfection ; mademoiselle de Bourbon, l’Admiration ; mademoiselle de Vendôme, la Victoire.

Les contrastes assaisonnaient ces joies. Mademoiselle pendant la Fronde, après avoir saisi Orléans pour Monsieur, traversait le Petit-Pont à Paris ; son carrosse s’accroche à la charrette que l’on menait toutes les nuits pleine de morts ; elle ne fit que changer de portière de crainte que quelques pieds ou mains ne lui donnassent par le nez. Durant cette révolution, on vivait dans la rue comme en 1792. Mademoiselle fit une visite à Port-Royal ; elle projetait d’avoir dans son désert un couvent de carmélites : confusion scandaleuse de sujets et d’idées que l’on retrouve à chaque pas dans ces temps où rien n’était encore classé.

Le cardinal de Retz était partout : il fréquentait l’hôtel de Chevreuse. Enfin, au Marais et dans l’île Saint-Louis, demeuraient Lamoignon et d’Aguesseau, graves magistrats ; on en égalisait le poids dans leur jeunesse avec un pain, lorsqu’une grosse cavale les portait l’un vis-à-vis de l’autre dans