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VIE DE RANCÉ

arriver à ce qu’il cherchait. Un jour, avec trois gentilshommes de son âge, il résolut d’entreprendre un voyage à l’imitation des chevaliers de la Table ronde ; ils firent une bourse en commun, et se préparèrent à courir les aventures : le projet s’en alla en fumée. Il n’y avait pas loin de ces rêves de la jeunesse aux réalités de La Trappe.

Ainsi que Catherine de Médicis, dont on voit encore la tour des sortilèges accolée à la rotonde du marché au blé, Rancé donna dans l’astrologie. Le fonds de religion qu’il avait reçu de son éducation chrétienne combattait ses superstitions ; les avertissements qu’il croyait recevoir des astres tournaient au profit de sa conversion future. De même que les anciens observateurs des révolutions sidérales, il connaissait les montagnes de la lune avant que les montagnes de la terre lui fussent connues. Un jour, derrière Notre-Dame, à la pointe de l’île, il abattait des oiseaux : d’autres chasseurs tirèrent sur lui du bord opposé de la rivière ; il fut frappé ; il ne dut la vie qu’à la chaîne d’acier de sa gibecière : « Que serais-je devenu, dit-il, si Dieu m’avait appelé dans ce moment ? » Réveil surprenant de la conscience[1] !

  1. Jugement critique de dom Gervaise