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VIE DE RANCÉ

de Bonaparte ; il jalonnait le chemin de la gloire comme Rancé le chemin du ciel.

Ces dangers auxquels le hasard exposait Rancé frappèrent un esprit sérieux chez qui les réflexions graves commençaient à naître. En s’attachant à une femme qui avait déjà franchi la première jeunesse, Rancé aurait du s’apercevoir que la voyageuse avait achevé avant lui une partie de la route.

Le duc de Montbazon présidait un jour un assaut scolastique dans lequel l’abbé de Rancé était rudement mené. Fatigué des criailleries, le vieux duc se lève, s’avance au milieu de la salle en faisant jouer sa canne comme pour séparer des chiens, et dit en latin à Rancé : Contra verbosos, verbis ne dimices ultra. Montbazon, mort en 1644, à l’âge de quatre-vingt-six ans, était né en 1558, sous Henri II. Il avait vu passer la Ligue et la Fronde. Était-il dans la voiture de Henri IV lorsque celui-ci fut assassiné ? Le duc de Montbazon, corrompu par ces temps dépravés qui s’étendirent de François Ier à Louis XIV, faisait confidence à sa femme de ses infidélités octogénaires. Devenu honteusement amoureux d’une joueuse de luth, il se prit de querelle avec la musicienne et la voulut jeter par la fenêtre. La force manqua à sa vengeance ; il retomba sur son lit près