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VIE DE RANCÉ

déjà écoulé depuis le jour où je rêvais René dans Kinsington jusqu’à ces dernières heures ! Le vieux banni s’est trouvé chargé de montrer à l’orphelin une ville que mes yeux peuvent à peine reconnaître.

Réfugié en Angleterre pendant huit années, ensuite ambassadeur à Londres, lié avec lord Liverpool, avec M. Canning et avec M. Croker, que de changements n’ai-je pas vus dans ces lieux, depuis Georges IV qui m’honorait de sa familiarité jusqu’à cette Charlotte que vous verrez dans mes Mémoires. Que sont devenus mes frères en bannissement ? Les uns sont morts, les autres ont subi diverses destinées : ils ont vu comme moi disparaître leurs proches et leurs amis. Sur cette terre où l’on ne nous apercevait pas, nous avions cependant nos fêtes et surtout notre jeunesse. Des adolescentes, qui commençaient la vie par l’adversité, apportaient le fruit semainier de leur labeur afin de s’éjouir à quelques danses de la patrie. Des attachements se formaient ; nous priions dans des chapelles que je viens de revoir et qui n’ont point changé. Nous faisions entendre nos pleurs le 21 janvier, tout émus que nous étions d’une oraison funèbre prononcée par le curé émigré de notre village. Nous allions aussi, le long de la