Page:Chateaubriand - Voyage en Italie, édition 1921.djvu/90

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cicérone m’a conduit dans le pays des Sabins, pubemque sabellum. J’ai marché à l’aval de l’Anio jusqu’à un champ d’oliviers, où s’ouvre une vue pittoresque sur cette célèbre solitude. On aperçoit à la fois le temple de Vesta, les grottes de Neptune et des Sirènes, et les cascatelles qui sortent d’un des portiques de la villa de Mécène. Une vapeur bleuâtre répandue à travers le paysage en adoucissait les plans.

On a une grande idée de l’architecture romaine lorsqu’on songe que ces masses bâties depuis tant de siècles ont passé du service des hommes à celui des éléments, qu’elles soutiennent aujourd’hui le poids et le mouvement des eaux, et sont devenues les inébranlables rochers de ces tumultueuses cascades.

Ma promenade a duré six heures. Je suis entré, en revenant à mon auberge, dans une cour délabrée, aux murs de laquelle sont appliquées des pierres sépulcrales chargées d’inscriptions mutilées. J’ai copié quelques-unes de ces inscriptions. Que peut-il y avoir de plus vain ? Je lis sur une pierre les regrets qu’un vivant donnait à un mort ; ce vivant est mort à son tour, et après deux mille ans je viens, moi barbare des Gaules, parmi les ruines de Rome, étudier ces épitaphes dans une retraite abandonnée, moi indifférent à celui qui pleura comme à celui qui fut pleuré, moi qui demain m’éloignerai pour jamais de ces lieux, et qui disparaîtrai bientôt de