Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/172

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tous ensemble, oui, tant jeunes que vieux.
Là on peut festoyer et voir les souverains
et plus de choses rares y eut que je ne sais vous en décrire,
420 mais achetées bien trop cher avant de se lever de table.

Ô malheur soudain ! qui toujours succèdes[1]
au bonheur terrestre assaisonné d’amertume,
terme de la joie de notre terrestre labeur ;
le malheur siège au bout de notre liesse.
Écoute ce conseil pour ta sécurité :
au jour de liesse aie en pensée
le chagrin ou le mal inopiné qui vient derrière.

Car, pour le raconter brièvement en un mot,
le sultan et les chrétiens jusqu’au dernier
430 furent pourfendus et poignardés à la table,
excepté la seule dame Constance.
La vieille sultane, maudite sorcière,
avec ses amis a fait cette action maudite
voulant elle-même gouverner tout le pays.

Il n’y eut nul Syrien converti
au courant du conseil du sultan
qui ne fût pourfendu avant qu’il pût s’échapper.
Constance, ils la prirent aussitôt, à la chaude,
et sur un vaisseau sans aucun gouvernail, Dieu le sait !
440 ils la placèrent, lui disant d’apprendre à faire voile
de Syrie pour revenir en Italie.

Certain trésor qu’elle avait apporté
et grande abondance, à vrai dire, de victuailles
ils lui donnèrent ; elle avait aussi des vêtements,
et la voici qui vogue sur la mer salée.
O ma Constance, pleine de gracieuse bonté,
ô jeune fille chérie de l’empereur,
que le maître du destin dirige la barque !

Elle se signa et d’une voix toute plaintive
450 à la croix du Christ elle parla ainsi[2] :

  1. Ce passage, ainsi que les vers 771-177, 925-931 et 1134-1141, est imité du traité d’Innocent III, De Contemptu Mundi. Cf. ci-dessus, vers 99.
  2. Ces deux stances (vers 449-462) ne sont pas prises dans Trivet, mais on