Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/177

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et, de dépit, il délibéra en sa pensée
de la faire mourir de mort honteuse.
Il attendit que le connétable fût absent
et se glissa, en secret, une nuit
dans la chambre d’Hermengilde endormie.

Lasse, épuisée de veilles passées en oraisons,
Constance dort ainsi qu’Hermengilde.
Ce chevalier, tenté par Satan,
tout doucement s’en alla au lit
600et coupa en deux la gorge d’Hermengilde,
plaça le couteau sanglant près de dame Constance
et s’en retourna où Dieu lui donne male chance.

Bientôt après le connétable rentra chez lui
et avec lui Alla qui était roi de ce pays.
Il vit sa femme méchamment tuée
ce dont tant et plus il pleura et se tordit les mains
et dans le lit il trouva le couteau sanglant
près de dame Constance ; hélas ! que pouvait-elle dire ?
De pure douleur son esprit était égaré.

610Au roi Alla l’on raconta toute cette male chance
ainsi que le moment, le lieu et de quelle façon
en un vaisseau l’on trouva dame Constance,
comme devant vous l’avez entendu relater.
Le cœur du roi frémit de pitié
lorsqu’il vit une personne si bénigne
tombée en détresse et en mésaventure.

Car telle que l’agneau que l’on mène à la mort,
telle cette innocente se tint devant le roi.
Le chevalier félon qui ourdit cette trahison
620l’accusa faussement d’avoir commis le crime.
Mais pourtant il y eut bien grande lamentation
parmi les gens et ils disaient qu’ils ne pouvaient croire
qu’elle eût fait si grande méchanceté.

Car toujours ils l’avaient vue si vertueuse,
aimant Hermengilde comme sa propre vie.
De ceci chacun témoigna dans la maison,
hormis celui qui tua Hermengilde de son couteau.