Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/183

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Le lendemain le messager, quand il se réveilla,
prit le plus proche chemin vers le château
et porta la lettre au connétable.
Et quand celui-ci vit cette lettre affligeante,
810bien souvent il dit « hélas ! » et « quel malheur ! »
« Seigneur Christ, (dit-il,) comment ce monde peut-il durer,
si pleines de péché sont maintes créatures !

O puissant Dieu[1], si c’est ta volonté,
puisque tu es juste juge, comment se peut-il
que tu veuilles laisser des innocents périr
et de méchantes gens régner en prospérité ?
O bonne Constance, hélas ! tant il me fait peine
que je doive être ton bourreau, ou mourir
de mort honteuse ; il n’est d’autre issue ! »

820Dans tout ce lieu jeunes et vieux pleurèrent
quand le roi envoya cette lettre maudite,
et Constance, avec un visage d’une pâleur mortelle,
le quatrième jour alla vers son vaisseau.
Mais néanmoins elle prit en bonne disposition
la volonté du Christ et à genoux sur la grève
elle dit : « Seigneur, toujours bienvenu soit ton vouloir ! »

Celui qui m’a gardée de la fausse accusation
tandis que j’étais dans le pays parmi vous,
Celui-là peut me garder du mal et aussi de la honte
830sur la mer salée, encore que je ne voie pas comment.
Aussi puissant qu’il le fut jamais, il l’est encore maintenant.
En Lui je me confie, et en sa mère chérie
qui est pour moi ma voile et mon gouvernail aussi. »

Son petit enfant était en pleurs dans ses bras
et à genoux elle lui dit tristement :
« Paix, mon petit enfant, je ne veux pas te faire de mal ».
Là-dessus elle ôta son couvre-chef de sa tête
et le posa sur ses petits yeux
et sur son bras elle le berça très vivement
840et leva les yeux vers le ciel.

  1. Pour les 8 stances suivantes (vers 813-868), Trivet n’a fourni que des indications. Les beaux vers 834-864 sont en entier de Chaucer.