Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/184

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« Mère, (dit-elle,) et Vierge brillante, Marie,
il est vrai que par l’instigation de la femme
le genre humain fut perdu et damné pour toujours,
ce pourquoi ton fils fut rompu sur une croix.
Tes yeux bénis virent tout son tourment.
Il n’est donc pas de comparaison entre
ta douleur et aucune douleur que l’homme puisse endurer.

Tu as vu ton enfant tué sous tes yeux
et mon petit enfant à moi vit toujours, par ma foi !
850Or, dame de clarté, vers qui crient tous les malheureux,
gloire des femmes, toi, belle Vierge,
port de refuge, brillante étoile du jour,
aie pitié de mon enfant, toi qui en ta bonté
as pitié de tous les piteux dans leur détresse !

O petit enfant, hélas ! quel est ton crime,
toi qui n’as jamais encore, par Dieu, commis de péché,
pourquoi ton père cruel veut-il ta mort ?
O pitié, cher connétable ! (dit-elle.)
Laisse donc mon petit enfant demeurer ici près de toi,
860et si tu n’oses le sauver par crainte du blâme,
embrasse-le une fois au nom de son père. »

Là-dessus elle jette un regard en arrière vers la terre
et dit : « Adieu, mari sans pitié ».
Puis elle se lève et descend la grève
vers le vaisseau ; toute la foule la suit,
et toujours elle supplie son enfant de se tenir en paix,
et elle prend congé et en sainte disposition
elle se signe, et entre dans le vaisseau.

Le vaisseau était pourvu de vivres, il n’y a pas de doute,
870en abondance pour elle, pour bien longtemps,
et d’autres objets nécessaires dont elle aurait besoin
elle en possédait suffisamment, louée en soit la grâce divine !
Quant au vent et au temps, que Dieu tout-puissant les accorde,
et la ramène chez elle ! Je ne puis dire mieux.
Mais sur la mer elle suit sa route.


Ci finit la seconde partie, suit la troisième partie.