Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/201

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une messe pourtant fut dite en hâte,
et puis rapidement tables furent dressées,
et pour dîner tous trois se dépéchèrent,
et moine par marchand fut richement nourri.

Tôt en l’après-dîner, Dom Jean
gravement prit à part le marchand et lui dit
ainsi, en grand secret : « Cousin, puisqu’il se trouve,
comme je vois, que vous voulez aller a Bruges,
Dieu et Saint Augustin vous bénissent et guident !
1450Je vous en prie, cousin, chevauchez sagement ;
gouvernez-vous aussi en votre nourriture
tempérément, surtout durant cette chaleur.
N’est besoin entre nous de faire cent façons ;
adieu donc, mon cousin, Dieu de souci vous garde !
Et s’il est quelque chose ou de jour ou de nuit
qu’il soit en mes pouvoir et faculté de faire,
et que vous m’ordonniez, en aucune manière,
je la ferai, fort justement, comme voudrez.
    Avant que vous partiez, s’il se peut, d’une chose
1460je vous prierai, c’est à savoir de me prêter
cent francs pour une ou deux semaines ;
c’est pour quelque bétail qu’il me faut acheter
pour en garnir certain de nos manoirs
(je voudrais bien, si Dieu m’aide ! qu’il fût le vôtre !).
Pour mille écus, de vous payer au jour fixé
point ne faudrai du temps d’aller un mille[1].
Mais que ceci reste secret, je vous en prie,
car ce soir il me faut ces bétes acheter.
Or adieu, maintenant, mon cousin fort aimé,
1470très grand merci de votre chère et de vos frais ! »
Notre noble marchand aussitôt gentiment
lui répondit : « O mon cousin, Dom Jean !
sûrement ce n’est là que petite requête ;
tout mon or est à vous quand cela vous plaira,
et non l’or seulement, mais toute marchandise ;
prenez ce qu’il vous faut, pour Dieu n’y regardez !
Mais il est une chose, et vous le savez bien :
pour le marchand l’argent c’est la charrue ;

  1. C’est-à-dire, pas d’un quart d’heure.