Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/253

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et ils le percèrent de poignards aussitôt,
lui faisant maintes blessures, et le laissèrent en cet état gisant ;
mais lui à aucun de ces coups ne gémit, sauf à un seul,
3900 ou à deux peut-être, si son histoire ne ment.

Tant de courage avait ce Julius en son cœur
et tant il aimait la décence qui sied aux grands,
que malgré la douleur de ses blessures mortelles
il ramena son manteau sur ses hanches,
car il ne voulait pas que personne vit sa nudité.
Et tandis qu’il gisait mourant, à l’agonie,
et sachant parfaitement qu’il allait mourir,
il eut encore pour la décence un souvenir.

Lucain, à toi je confie le soin de cette histoire,
3910 et à Suétone, et à Valère aussi,
qui ont écrit cette histoire d’un bout à l’autre[1],
comment pour ces deux grands conquérants
la fortune fut d’abord amie, puis ennemie.
Que personne ne se fie longtemps à la fortune,
mais tenez-la en méfiance a jamais.
Témoins tous ces puissants conquérants.


Crésus[2].

Le riche Crésus, jadis roi de Lydie,
duquel Crésus Cyrus eut grande terreur,
fut pourtant fait prisonnier au milieu de son orgueil
3920 et pour être brûlé on le conduisit au bûcher.
Mais une grande pluie tomba des cieux
qui éteignit le feu, et lui permit d’échapper ;
mais d’être rendu sage il n’eut pas la grâce,
avant que la fortune ne l’eût fait bâiller sur le gibet

Quand il eut échappé, il ne put se tenir
de recommencer une nouvelle guerre.
Il croyait bien, parce que la fortune lui octroya
cette chance d’échapper grâce à la pluie,
qu’il ne pourrait être tué par ses ennemis ;

  1. Lucain dans la Pharsale, Suétone dans la Vie des douze Césars, Valère Maxime dans son De Factis Dictisque memorabilibus.
  2. Chaucer a trouvé l’histoire de Crésus dans Boccace, De Casibus Virorum, III, 20. Crésus survécut à Cyrus ; Chaucer lui attribue une mort prématurée.