Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/268

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comme le saint docteur Augustin,
ou Boèce, ou l’évéque Bradwardin[1],
pour savoir si de Dieu l’auguste préscience
m’oblige forcément à faire une chose
(forcément, de nécessité simple, veux-je dire) ;
ou au contraire, si libre choix m’est accordé
de faire cette même chose, ou ne la faire pas,
bien que Dieu l'ait prévue avant qu’elle soit faite ;
ou encore si sa préscience ne m’oblige point,
4440sauf de nécessité conditionnelle.
Mais je ne veux avoir affaire a pareille matière ;
mon conte est d’un coq, comme pouvez l’entendre,
qui prit conseil de sa femme, par malheur,
pour sortir dans la cour, le matin
on il avait eu ce songe, que vous ai dit ;
conseils de femmes bien souvent sont funestes ;
conseil de femme premier nous mit à mal,
et fit partir Adam de Paradis,
où était si joyeux, et bien à l’aise. —
4450Mais, ne sachant à qui ce pourrait déplaire
si conseil de femme je blâmais,
je passe outre, car ceci ai-je dit en jeu.
Lisez les auteurs, où ils traitent de telle matière,
et ce qu’ils disent des femmes apprendrez.
Ce sont les paroles du coq, et non les miennes ;
je ne saurais d’aucune femme penser mal.
En belle place dans le sable, s’y baignant joyeusement,
gît Pertelote, et toutes ses sœurs près d’elle,
contre le soleil ; et le noble Chanteclair
4460chantait plus joyeusement que sirène dans la mer ;
car Physiologus[2] dit, sans aucun doute,
qu’elles chantent bellement et joyeusement.
Or advint que, comme il jetait les yeux,
parmi les herbes, sur un papillon,
il découvrit ce renard qui gisait contre terre.
Lors n’eut envie de chanter,
mais cria incontinent, « cok cok », et tressaillit,

  1. Professeur de l’Université d’Oxford dans le second quart du XVIe siècle ; auteur d’un traité De causa Dei.
  2. C’est-à-dire le Bestiaire ou Physiologus de naturis d’un certain Theobaldus.