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XXXI
INTRODUCTION.

patelines et familières, ses extraordinaires efforts d’éloquence pour arriver à escroquer l’argent de son malade. Quand on atteint la grosse farce primitive, le meilleur du conte est achevé, et plus des deux tiers en est dit. Ce qui fut l’unique raison d’être du fabliau de Jacques de Basiu n’est plus ici que la simple conclusion d’une étude de caractère ensemble très approfondie et merveilleusement comique.

Il y a plus. L’étude des personnages ne peut se faire à une certaine profondeur sans ébranler la convention du genre. À l’état pur le fabliau repose sur le ridicule de cocuage. Le mari trompé est l’objet d’un éclat de rire. Ce que le fabliau recèle de sympathie, et c’est peu, va au contentement de voir se satisfaire la sensualité de la femme et de son ami. Qu’une note de vérité humaine se glisse dans le cadre traditionnel et voici qu’il menace d’éclater. Or, aussi vrai que Molière déconcerte le rire quand il nous met en face de la passion sincère et de la souffrance réelle d’Arnolphe, de même Chaucer n’est pas loin d’enrôler notre compassion, et jusqu’à notre préférence, pour le vieux Janvier du Conte du Marchand. Il est ridicule, ce Janvier, d’avoir voulu, sur ses vieux jours, épouser la jeune Mai. Il est grotesque, lorsqu’avec ses rides, et ses cheveux blancs, il caresse sa jolie femme, et le page Damien est singulièrement plus à l’aise que lui dans une semblable attitude. N’importe ! l’amour profond, attristé par le sentiment même de son âge, s’exprime si fortement par sa bouche ; il atteint si près du lyrisme dans ses appels à Mai ; il a un cri si déchirant de détresse quand il se voit trahi : « il poussa un rugissement comme la mère quand son enfant va mourir », que le lecteur souffre avec lui, oublie l’aveugle égoïsme du vieillard, et incline à condamner la cruauté de la jeune femme insensible à sa peine, toute à la satisfaction de son sensuel désir. À ce moment, ce n’est plus même la comédie simple ; c’est le drame plus complexe qui se joue devant nous, — le drame sans parti pris exclusif, oscillant entre le rire et la pitié. Et pourtant l’histoire qui nous est dite est purement le fabliau du Poirier, type par excellence du genre cynique. Il suffit, pour se rendre compte du pas fait en avant, de lire d’abord le Poirier