Enchanté dans Boccace ou dans La Fontaine, puis d’ouvrir le Conte du Marchand de Chaucer.
Sans cesse nous éprouvons en lisant les Contes de Canterbury, surtout les contes plaisants, l’impression que quelque chose est en train de naître. Un levain d’observation et de vérité fermente à l’intérieur de genres fixes, qui eurent leur perfection spéciale, mais étroits et condamnés. Ce travail qui s’opère, c’est le théâtre moderne, voire le roman moderne, qui donnent leurs premiers signes manifestes d’existence.
Cet Anglais du xive siècle, parfois empêtré dans une syntaxe enfantine, encore imbu de scolastique, la mémoire surchargée de citations et d’autorités bibliques ou profanes, ayant sur sa tête un ciel astrologique plus étrange aux regards européens d’aujourd’hui que celui de l’hémisphère sud, — ce « translateur » docile d’œuvres disparates et souvent elles-mêmes surannées, — se trouve en vérité avoir ouvert une ère nouvelle. C’est qu’en lui le désir de voir et de comprendre la vie a passé avant l’ambition de la transformer. Poète exilé pour péché d’humour des régions les plus hautes de la poésie, la curiosité l’a décidément emporté chez lui sur la foi, et les joies des yeux ou de l’intelligence sur celles de l’enthousiasme. Les paroles qu’il a entendues lui ont paru toujours réjouissantes, et même véridiques, du moins comme indices de la nature et de la pâture de qui les disait. Il mène le groupe, sans cesse accru, des contemplateurs qui accepteront comme un fait, avec une indulgence amusée, sans prétendre à reteindre l’étoffe d’une couleur unique, l’entrecroisement des fils de diverses nuances dont se compose le tissu bigarré d’une société. Il a sans doute jugé certaines couleurs plus belles que d’autres, mais c’est sur le contraste de toutes qu’il a fondé à la fois sa philosophie de la vie et les lois de son art.