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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/322

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Rien n’y fit ! Je n’aurais point donné une airelle
660de tous ses beaux proverbes ni de son vieux dicton,
ni d’être corrigée par lui n’avais-je envie.
Je hais celui-là qui me reproche mes vices,
et ainsi, Dieu le sait, font d’autres gens que moi.
Et cela contre moi le mettait hors du sens.
665Je ne lui passais rien, mais rien, en aucun cas.
    Or vais-je vous conter vraiment, par Saint Thomas,
pourquoi je déchirai un feuillet de son livre,
dont il me souffleta que j’en suis restée sourde.
    Il avait certain livre où toujours, nuit et jour,
670pour son ébatement», il se plaisait à lire.
Il disait que c’était Valère[1] et Théophraste[2].
Lequel livre toujours bien fort le faisait rire.
Et puis c’était un clerc qui fut jadis à Rome,
un cardinal, lequel avait nom Saint-Jérôme,
675qui contre Jovinien avait écrit un livre.
Et dans ce livre encore se trouvaient Tertullien,
Chrysippus, Trotula[3] et aussi Héloïse,
qui non loin de Paris autrefois fut abbesse.
Puis c’était Salomon avec ses paraboles,
680L’art d’Ovide, et plusieurs autres livres encore.
Et tout cela était relié en un volume.
Et, la nuit ou le jour, il avait pour coutume,
dès qu’il avait loisir et qu’il se trouvait libre
de toute autre besogne ou affaire mondaine,
685de lire là-dedans touchant femmes méchantes.
Il savait d’elles plus de légendes et vies
qu’en la Bible il n’en est de femmes vertueuses.
Car, vous pouvez m’en croire, il est tout impossible
que clerc qui soit consente à dire bien des femmes,
690hormis seul de la vie d’une benoîte sainte ;
mais de toute autre femme jamais il n’en dira.
Qui peignit le lion, hein, dites-le-moi[4] ?

  1. Epistola Valerii ad Rufinum de non ducenda uxore, attribuée par Wright à Walter Mapes (Skeat).
  2. Un certain Theophrastus, auteur de l’Aureolus Liber de Nuptiis, dont un long extrait se trouve dans le livre de Jérôme contre Jovinien (Skeat).
  3. « Trotule, ou l’emperris de Rome, Es secres qu’elle mist en somme, Dit qu’on doit les femmes doubter, Et qu’on n’y doit foy adjouster ». (Matheolus, II, 3519).
  4. Allusion à la fable d’Esope.