Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/326

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Devant mourir pourtant il faut que je te baise. »
    Et lui de s’approcher et de s’agenouiller
et de dire : « Alison, chère sœur Alison,
805Dieu m’est témoin, jamais je ne te frapperai.
De ce que j’ai fait là la faute est à toi-même.
Pardonne-le-moi donc, pardonne, je t’en prie ! »
Et moi incontinent je le frappe à la joue
et dis : « Vilain larron, d’autant suis-je vengée.
810Or veux-je trépasser, je ne puis plus parler. »
Mais pourtant l’on finit, à grand peine et tourment,
par conclure un accord, passé entre nous deux.
Il dut abandonner la bride en ma main toute.
J’eus le gouvernement du logis et des biens
815et celui de sa langue et celui de sa main,
et je lui fis brûler son livre incontinent.
Et dès le moment où je me fus assurée,
grâce à ce maître coup, souveraineté pleine,
du moment qu’il eut dit : « Ma chère et bonne femme,
820fais ce que tu voudras tant que tu auras vie ;
garde bien ton honneur et garde aussi mes biens »,
à partir de ce jour jamais on n’eut querelle.
Ainsi m’assiste Dieu, je lui fus aussi bonne
comme femme qui soit de Danemark en Inde
825et tout aussi fidèle, et lui en fit autant.
Je prie Dieu qui là haut trône en sa majesté
qu’il bénisse son âme, en sa miséricorde !
Or dirai-je mon conte, si vous voulez l’ouïr. »


S’ensuivent les propos échangés entre le Semoneur et le Frère,


Ayant ouï cela, Frère se mit à rire :
830« Oh ! oh ! dame (dit il), ainsi sois-je sauvé
comme voilà un long préambule à un conte. »
Et quand le Semoneur entend crier le frère :
« Là (dit le Semoneur), par les deux bras de Dieu !
frère toujours prétend fourrer son nez partout.
835Oui, bonnes gens, oui-dà, il faut que mouche ou frère
se fourrent dans tout plat comme dans toute affaire.
Eh ! que parles-tu donc de préambulation ?