Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/325

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765De date moins ancienne alors vinrent des femmes,
femmes qui dans leur lit tuèrent leur mari»
et puis par leur ribaud se laissèrent trousser,
cependant que le corps gisait sur le plancher ;
femmes qui ont percé la cervelle d’un clou
770à l’homme qui dormait et ainsi l’ont occis ;
femmes qui lui ont mis poison dans son breuvage.
Il disait plus de maux qu’on n’en pourrait rêver.
Et puis il connaissait proverbes plus nombreux
que ne sont ici-bas brins de gazon ni herbes.
775    « Il vaut mieux (disait-il), il vaut mieux habiter
avec un lion cruel, ou un dragon affreux,
qu’avec femme qui est de gronder coutumière[1]. »
« Il vaut mieux (disait-il), loger haut sous le toit
qu’en bas dans la maison avec femme colère[2] :
780si méchant est ce peuple et si contrariant ;
cette engeance hait toujours ce que mari approuve, u
« Femme (encor disait il), met sa vergogne bas
alors qu’elle met bas sa chemise », et aussi :
« Femme belle qui n’est aussi chaste que belle,
785c’est comme un anneau d’or au groin d’une truie[3] ».
Qui pourrait supposer, qui pourrait concevoir
la peine que j’avais au cœur et le tourment ?
    Et quand je m’avisai qu’il ne comptait finir
de lire en ce maudit livre toute la nuit,
790voilà que tout soudain j’arrache trois feuillets
du livre, tandis qu’il lisait, et que de plus
je lui donne du poing un tel coup sur la joue
qu’à l’envers dans le feu il s’en alla tomber.
Lui de bondir, ainsi que lion en furie,
795et du poing il m’assène un tel coup sur la tête
que je restai pour morte étendue sur le sol.
Et quand il me vit là qui restais sans grouiller,
il demeura stupide et s’en serait sauvé
si enfin je n’étais sortie de pâmoison :
800« Oh ! m’as-tn donc tuée, faux larron ? (lui criai-je),
et pour avoir mes biens m’as-tu ainsi occise ?

  1. Ecclesiasticus, XXV, 16. Cf. Prov., XXI, 19.
  2. Prov., XXI, 9, 10.
  3. Prov., XI, 22.