Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/331

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« Ne me trahis pas, eau, par ton bruit,
(dit-elle), je te le dis à toi et à nul autre :
mon mari a deux longues oreilles d’âne !
Voici mon cœur tout remis, maintenant que c’est sorti ;
je ne le pouvais garder plus longtemps, vraiment. »
Par ceci vous pouvez le voir, quoiqu’un temps nous résistions,
980il faut que cela sorte, nous ne pouvons cacher de secret ;
si vous voulez ouïr le reste du conte,
lisez Ovide, et là vous le pourrez apprendre[1].
Ce chevalier, qui est le sujet de mon conte,
quand il vit qu’il ne pouvait réussir,
c’est-à-dire, à savoir ce que les femmes aiment le plus,
en sa poitrine son âme fut tout affligée ;
mais il revient en son pays, il ne pouvait demeurer.
Le jour était arrivé qu’il devait s’en retourner,
et chemin faisant il lui advint de chevaucher,
990en tout ce souci, sous l’orée d’un bois,
où il vit se mouvoir en danse
vingt-quatre dames, et davantage encore ;
vers laquelle danse il se dirigea tout empressé,
dans l’espoir d’y pouvoir trouver quelque instruction.
Mais certes avant qu’il arrivât tout auprès,
cette danse s’était évanouie, il ne savait où.
Il ne vit nul être qui eût vie,
sauf que sur la prairie il vit assise une femme ;
créature plus horrible ne se peut imaginer.
1000Devant le chevalier cette vieille femme se leva
et dit : « Sire chevalier, il n’y a pas de chemin par ici.
Dites-moi ce que vous cherchez, en toute vérité.
D’aventure vous vous en trouverez fort bien ;
nous autres vieilles gens savons beaucoup de choses », dit-elle.
« Ma chère mère (dit le chevalier), certes,
je suis homme mort, si je ne peux pas dire
quelle est la chose que les femmes désirent le plus ;
si vous pouviez m’instruire, j’en payerais bien le prix. »
« Engage-moi ta foi, ici, dans ma main (dit-elle),
1010que la première chose que de toi je requerrai,
tu la feras, si elle est en ton pouvoir ;

  1. Dans Ovide, c’est le barbier de Midas qui trahit le secret. Chaucer adapte le conte à sa satire de la femme.