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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/339

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Le Conte du Frère.


Le Prologue du Frère.


Le digne « limiteur », le noble frère,
faisait toujours une façon de mine renfrognée
au semoneur, mais par décence
il ne lui avait adressé jusqu’ici nul mot discourtois.
Mais à la fin il dit à la Femme:
1270 « Dame (dit-il), le ciel vous donne bonne vie !
sur mon salut ! vous avez ici touché
un point de doctrine très difficile ;
vous avez dit maintes choses excellentes, je l’affirme;
mais, madame, ici comme nous chevauchons sur la route
il ne nous sied d’avoir que de joyeux devis,
et au nom de Dieu de laisser les textes
aux prêcheurs et aux écoles des clercs aussi.
Mais, si cela plaît à cette compagnie,
je vais vous dire un joyeux conte d’un semoneur.
1280Pardieu, vous pouvez bien savoir par ce nom
que d’un semoneur on ne peut rien dire de bien;
je vous prie tous de ne rien prendre en mal.
Un semoneur est un homme qui court de ci de là,
citant les gens pour fornication,
et battu au bout de chaque village. »
Notre hôte dit alors : « Ah ! messire, vous devriez être honnête
et courtois, comme il sied à votre état ;
en cette compagnie nous ne voulons avoir de débat.
Dites votre conte et laissez le semoneur. »
1290 « Oh ! (dit le semoneur), qu’il me dise
ce qui lui plaira ; quand viendra mon tour,
par Dieu ! je le paierai jusqu’au dernier liard.
Je lui dirai quel grand honneur c’est
d’être un limiteur aux discours cajoleurs
et lui dirai ce que c’est que son emploi, croyez-m’en ! »