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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/386

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Le sergent vint retrouver son maître ;
sur les paroles et l’attitude de Grisilde
il le renseigna point par point, brièvement et simplement,
et lui remit sa fille bien aimée.
Le marquis montra quelque pitié dans son air ;
580néanmoins il poursuivit son projet,
comme en usent les puissants quand ils veulent faire leur volonté.

Il enjoignit à ce sergent d’envelopper en secret
et, très délicatement, d’emmailloter cet enfant
avec tous soins nécessaires et toute tendresse,
puis de le transporter dans un coffre ou dans un drap :
mais, sous peine de se faire trancher la tête,
il ne devait révéler son dessein à personne,
ni dire d’où il venait ni où il allait.

Mais à Bologne, où résidait sa sœur,
590qui en ce temps-là était comtesse de Panique[1],
le sergent se rendrait, lui expliquerait la chose,
la prierait de faire son affaire
d’élever cette enfant en toute sollicitude ;
mais de qui c’était l’enfant, elle devrait le celer
à tous, quoi qu’il pût advenir.

Le sergent est parti et s’est acquitté de ce message ;
mats c’est au marquis que nous revenons à présent,
car, maintenant, il va s’enquérant sans cesse
s’il ne peut découvrir sur le visage de sa femme
600ou dans ses paroles apercevoir
un changement ; mais il ne put jamais la surprendre
autrement que constante et douce, comme toujours.

Aussi heureuse, aussi humble, aussi empressée dans ses services
et dans son affection qu’elle l’avait jamais été,
elle le restait envers lui de toutes sortes de façons ;
et de sa fille, jamais elle ne disait un mot.
Nulle inégalité d’humeur, en aucune contrariété[2]

  1. Pays inconnu, jusqu’ici. Boccace dit « Panago » (Skeat, V, 347) et Pétrarque « Panico ».
  2. « Nul signe accidentel d’aucune calamité, » explique M. Skeat.