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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/406

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Ici commence le Conte du Marchand.[1]


Jadis résidait en Lombardie
un digne chevalier qui était natif de Pavie
où il vivait en grande prospérité,
et soixante ans il vécut non marié,
et tout ce temps chercha le plaisir de son corps
1250auprès des femmes, selon que le portait son appétit,
comme font ces fous qui vivent dans le siècle.
Et quand il eut passé soixante ans,
fut-ce dévotion ou radotage,
je ne puis dire, mais un tel désir
prit ce chevalier d’être marié
que jour et nuit il fit tout ce qu’il put
pour apercevoir où il pourrait se marier,
priant notre Seigneur de lui faire cette grâce, qu’il
pût un jour connaître la benoîte vie
1260qui est celle d’un mari avec son épouse,
et vivre dans ce lien sacré
par lequel, au commencement, Dieu unit l’homme et la femme.
« Nulle autre vie (disait-il) ne vaut un pois chiche,
car l’état de mariage est si plaisant et pur
qu’en ce monde il est un paradis. »
Ainsi parlait ce vieux chevalier qui était si sage.
Et certainement, vrai comme Dieu est roi,
prendre femme est chose glorieuse,
et surtout quand un homme est vieux et chenu,
1270alors une femme est le fruit de son trésor[2] ;
c’est alors qu’il lui faut prendre femme jeune et belle
de qui il puisse engendrer un héritier
et vivre en joie et en soûlas,


  1. D’après l’étude de M. Skeat (Complete Works of Chaucer, 3rd vol., p. 458), ce conte fut composé l’un des derniers. La source exacte n’est pas connue ; en revanche on connaît beaucoup de versions, plus ou moins différentes et plus ou moins anciennes, du même conte. (Clouston, Originals and Analogues, Chaucer Society, p. 171-341.) L’une de ces versions a servi à Boccace pour le conte qui se trouve dans le Décameron, à la septième journée. — Pope a composé une version modernisée du conte de Chaucer ; ce n’est qu’une œuvre de jeunesse, mais qui peut cependant servir parfois à l’intelligence du texte. — Cf. en France la fable de Marie de France Dou vileins qui vit un autre Hom od sa femme et l’adaptation du conte de Boccace par La Fontaine.
  2. C’est parce qu’il est riche qu’il trouve une femme.