Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/414

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Bien que personne ne puisse trouver
en ce monde un être qui trotte bien de tout point,
homme ou bête, tel qu’on pourrait l’imaginer,
1540néanmoins, il devrait suffire,
chez une femme, qu’elle ait
plus de bonnes qualités que de vices ;
et tout cela demande loisir pour s’enquérir.
Car Dieu le sait, j’ai pleuré maintes larmes,
à part moi, depuis que j’ai une femme ;
vante qui voudra la vie d’un homme marié,
certes, je n’y trouve que dépenses et souci,
et observances, de tout plaisir dénuées,
et pourtant, Dieu le sait, mes voisins d’alentour,
1550et notamment maintes et maintes femmes,
disent que j’ai l’épouse la plus constante
et aussi la plus douce qui soit en vie.
Mais je sais mieux que personne où mon soulier me blesse.
Vous pouvez, pour ce qui est de moi, faire à votre guise ;
mais avisez bien, vous qui êtes homme d’âge,
comment vous contracterez mariage
et surtout avec femme jeune et belle.
Par Celui qui a fait l’eau, la terre, et l’air,
l’homme le plus jeune qui soit en toute cette assemblée
1560a bien assez à faire pour réussir
à garder sa femme pour lui seul, croyez-moi.
Vous ne lui plairez pas trois années pleines,
c’est-à-dire vous ne lui donnerez pas tout son plaisir.
Une femme réclame maintes observances.
Je vous prie de ne point prendre mal mes paroles. »
« Eh bien (dit Janvier) as-tu dit ?
Foin de ton Sénèque et de tes proverbes.
Je n’estime pas tant qu’un panier plein d’herbes
tous ces termes d’école ; de plus sages que toi,
1570comme tu l’as entendu, approuvaient tout à l’heure
mon dessein ; Placebo, que dites-vous ? »
« Je dis que c’est homme maudit (dit-il),
celui qui s’oppose au mariage, en vérité ! »
Et sur ce mot, ils se lèvent soudain,
et tous approuvent pleinement qu’il
se marie quand il lui plaira et où il voudra.