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LE PROLOGUE.

nul ne pouvait avoir prise sur son écrit ;
et chaque article, il le savait tout entier par cœur.
Il chevauchait simplement vêtu d’un habit grisâtre,
ceint d’une ceinture de soie, à petits clous[1] ;
330de son costume je ne parlerai pas davantage.

Un Franklin[2] était son compagnon ;
blanche était sa barbe, comme la marguerite.
De complexion il était sanguin.
Il aimait fort, le matin, une soupe au vin[3].
Vivre dans la joie était sa constante habitude,
car il était le fils même d’Épicure,
qui estimait que plaisir complet
était vraiment félicité parfaite.
Il pratiquait l’hospitalité, et largement ;
340c’était le Saint Julien[4] de sa province.
Son pain, sa bière, étaient toujours des meilleurs* ;
d’homme mieux fourni en vins, il n’y en avait point.
Sa maison n’était jamais dépourvue de pâtés,
de poisson et de chair, et en telle abondance,
qu’elle regorgeait de victuailles et de boissons,
et de toutes les friandises imaginables.
Selon les diverses saisons de l’année
il changeait son dîner* et son souper.
Il avait en cage mainte perdrix grasse,
350et mainte brème et maint brochet en son vivier.
Malheureux son cuisinier, si la sauce n’était point
piquante et forte, et toute sa batterie en état.
Sa table fixe[5] dans la grande salle constamment
restait couverte de mets tout le long du jour.
Aux sessions il était lord et sire ;
souventes fois il fut chevalier du comté[6].
Une dague et une bourse toute de soie
pendaient à sa ceinture, blanche comme le lait du matin.

  1. Ornements attachés au tissu de la ceinture et le plus souvent en forme de barres ou de clous.
  2. Voir plus haut la note du vers 215.
  3. Du vin où trempaient des morceaux de pain.
  4. Saint Julien avait le mérite particulier de procurer bon souper et bon gite à ses fidèles.
  5. Par opposition avec les tables mobiles, supportées par des tréteaux.
  6. Représentant au Parlement de l’ensemble d’un comté.