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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/44

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LES CONTES DE CANTERBURY.

Il avait été shériff[1], et comptour[2] ;
360nulle part n’était si digne vavasseur[3].

    Un Mercier, et un Charpentier,
un Tisserand, un Teinturier, et un Tapissier,
étaient aussi avec nous, revêtus de la livrée
d’une importante et grave confrérie.
Tout frais et orné à neuf était leur accoutrement ;
leurs couteaux n’étaient pas munis de plaques de cuivre[4],
mais rien que d’argent, travaillé proprement et bien,
leurs ceintures aussi et leurs bourses, de tout point[5].
Chacun d’eux semblait bien un bourgeois de marque,
370fait pour siéger dans une salle corporative, sur l’estrade.
Chacun d’eux, eu égard à sa prudence,
était fait pour devenir un alderman[6],
car ils avaient assez de biens et de rentes,
et leurs femmes y eussent été volontiers consentantes ;
autrement, certes, elles eussent été blâmables.
C’est chose fort agréable d’être appelée « ma dame »,
et de prendre aux vigiles le pas sur toutes les autres femmes*,
et d’y faire porter son manteau royalement[7].

    Ils avaient un Cuisinier avec eux en cette occasion,
380pour faire bouillir les poulets avec les os à moelle,
et la poudre-marchande piquante[8] et le souchet.
Il savait bien reconnaître une rasade de bière de Londres.
Il savait rôtir, et bouillir, et griller, et frire,
faire le mortreux[9], et bien cuire au four un pâté.
Mais c’était grand dommage, à ce qu’il me parut,
que sur son tibia il eût un chancre ;
car le blanc-manger, il le faisait à la perfection.

  1. 1. Gouverneur de comté.
  2. Ce vieux mot signifie : vérificateur des comptes ; il répond exactement au texte : « countour ».
  3. Vassal qui ne recevait pas l’investiture du roi, mais d’un autre vassal.
  4. Ornement placé vers la pointe du fourreau.
  5. Le sens parait être : comme les gaines de leurs couteaux, leurs ceintures et leurs bourses n’étaient ornées que d’argent.
  6. Président d’une corporation.
  7. Les femmes des principaux bourgeois faisaient porter leurs manteaux, en cérémonie, aux réunions joyeuses des paroissiens la veille des fêtes.
  8. Poudre piquante employée comme assaisonnement.
  9. Sorte de soupe épaisse à la viande ou au poisson.