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LE PROLOGUE.


    Il y avait là un Marin, qui demeurait loin vers l’ouest ;
autant que je puis savoir, il était de Dartmouth.
390Il chevauchait sur un roussin, comme il pouvait,
dans une robe de gros drap tombant aux genoux.
Il portait une dague attachée à une courroie
autour du cou, et qui lui pendait sous le bras.
La chaleur de l’été lui avait tout bruni le teint ;
et certes, c’était un joyeux compagnon.
Mainte rasade de vin il avait soutirée,
au retour de Bordeaux, tandis que le subrécargue dormait.
Des scrupules de conscience il n’avait cure.
S’il livrait bataille, et avait le dessus,
400il renvoyait l’adversaire chez lui par eau, où que ce fût[1].
Mais son talent pour bien calculer ses marées,
ses courants, et les périls toujours proches,
l’entrée au port, et la lune, et le pilotage,
n’avait pas son pareil de Hull jusqu’à Carthage.
Il était hardi, et sage dans ses entreprises ;
par mainte tempête sa barbe avait été secouée.
Il connaissait bien tous les ports, en détail,
de Gottland jusqu’au cap de Finisterre,
et toutes les criques de Bretagne et d’Espagne ;
410sa barque s’appelait la « Madeleine ».

    Il y avait avec nous un Docteur en physique ;
au monde entier n’était personne comme lui
pour parler médecine et chirurgie ;
car il savait à fond l’astrologie.
Il veillait sur son malade avec grand soin
aux heures fatidiques[2], par sa magie naturelle.
Il savait choisir un ascendant favorable
pour les images qui devaient agir sur le patient[3].
Il connaissait la cause de toutes les maladies,
420que ce fût le chaud ou le froid, ou l’humide, ou le sec,
et où elle était engendrée, et par quelle humeur ;
c’était vraiment un parfait praticien.
La cause une fois trouvée, et la racine du mal,

  1. Il le jetait par-dessus bord.
  2. Marquées par les astres.
  3. C’est la croyance sur laquelle est fondé l’envoûtement.