Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/462

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les femmes, par nature, désirent la liberté,
et de n’être pas contraintes, comme est un serf ;
770 et aussi les hommes, s’il faut dire la vérité.
Regardez qui est le plus patient en amour ;
celui-là est à son avantage, au-dessus de tous les autres.
La patience est une haute vertu, certes,
car elle triomphe, comme disent les clercs,
où la rigueur n’obtiendrait jamais rien.
Pour chaque mot, on ne doit pas gronder ou se plaindre.
Apprenez à supporter, ou bien, sur ma vie !
vous l’apprendrez, que vous le vouliez ou non ;
car, dans ce monde, sûrement, il n’est pas un être
780 qui ne fasse ou ne dise mal quelquefois.
L’ire, la maladie, ou la constellation[1]
le vin, le malheur, ou le changement de complexion
bien souvent font mal agir ou parler ;
de chaque tort il ne sied pas de se venger ;
selon la circonstance il faut que modère sa règle
tout être qui se connaît en gouvernement.
Et par conséquent ce sage et preux chevalier,
pour vivre en tranquillité, fui promit patience,
et elle, de son côté, très sagement lui jura
790 qu’il n’y aurait jamais manquement en elle.

Ici les hommes peuvent voir un accord humble et sage ;
ainsi elle a pris son serviteur et son seigneur,
serviteur en amour, seigneur en mariage ;
ainsi était-il lui-même à la fois en seigneurie et en servage.
Servage ? non, mais en seigneurie suprême,
puisqu’il a à la fois sa dame et son amour ;
sa dame, certes, et sa femme aussi,
choses que la loi d’amour accorde ensemble.
Et lorsqu’il eut gagné cette félicité,
800 il s’en alla avec sa femme chez lui dans son pays,
non loin de Penmarck, là où était sa maison,
et où il vit dans le bonheur et la joie.
Qui pourrait dire, s’il n’avait été marié,
la joie, l’aise, la félicité

  1. La constellation, c’est-à-dire l’influence des astres.