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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/51

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LE PROLOGUE.

Les moutons du maître, son bétail, sa laiterie,
ses porcs, ses chevaux, ses récoltes, et sa volaille,
étaient entièrement gouvernés par cet intendant,
600Et d’après son contrat il rendait ses comptes,
depuis que son maître avait vingt ans d’âge.
Par nul homme il ne se laissait mettre en arriéré.*
Il n’y avait employé, ni berger, ni autre valet de ferme,
dont il ne connût les tours et les tromperies ;
ils avaient peur de lui, comme de la peste.
Sa demeure était fort plaisante, sur une lande,
d’arbres verts sa maison était ombragée.
Il était mieux que son maître en état d’acheter.
Il était fort richement pourvu en secret,
610et savait habilement plaire à son maître,
lui donner et lui prêter sur le bien du maître*,
et en obtenir un merci, et de plus un habit et un capuchon.
Dans sa jeunesse il avait appris un bon métier ;
c’était un très bon ouvrier, un charpentier.
Cet intendant montait un fort bon étalon,
qui était tout gris pommelé, et s’appelait Scot.
Il avait sur lui un long surcot gris-bleu,
et à son côté portail une lame rouillée.
Du Norfolk était cet intendant, dont je parle,
620d’auprès d’une ville que l’on appelle Bawdeswell.
Il était troussé, comme un moine, tout autour,
et toujours il chevauchait le dernier de notre troupe.

    Un « Semoneur »[1] était avec nous en cet endroit,
qui avait une figure de chérubin, rouge comme le feu,
car il était couvert de boutons, avec de petits yeux.
Il était aussi chaud et paillard qu’un moineau ;
avec des sourcils noirs teigneux, et une barbe rare ;
de son visage les enfants avaient peur.
Il n’était vif-argent, litharge, ni soufre,
630borax, céruse, ni aucune huile de tartre,
ni onguent pour nettoyer ou pour mordre,
qui pût le débarrasser de ses boutons blancs,
ni des verrues fixées sur ses joues.

  1. Somnour ou semoneur, sorte d’huissier ou d’appariteur ecclésiastique employé pour appeler les coupables devant les juridictions d’Église.