Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/512

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car tout le bien qu’il dépense à cela,
il le perdra, de ceci je n’ai doute,
Quiconque voudra mettre à l’air sa sottise,
qu’il vienne et apprenne à multiplier ;
et tout homme qui a quelque chose en son coffre,
qu’il apparaisse et se fasse philosophe.
Peut-être cette science est facile à apprendre ?
Non, non, Dieu le sait, fût-il moine ou frère,
840 prêtre ou chanoine, ou tout autre homme,
quand il resterait nuit et jour penché sur son livre,
à apprendre cette sotte et lutinante science,
tout serait vain, et pardieu ! bien plus encore !
D’apprendre à un ignorant cette subtilité,
fi ! ne m’en parlez pas, la chose est impossible ;
qu’il connaisse l’art de lecture ou non,
en fait pour lui cela reviendra au même ;
car tous les deux[1], par mon salut !
aboutissent, dans la multiplication,
850 également bien quand ils ont tout fini ;
c’est à savoir, qu’ils échouent tous les deux.
Pourtant j’ai oublié de vous faire mention
des eaux corrosives et de la limaille,
et de la mollification des corps,
et aussi de leur induration,
des huiles, des ablutions et du métal fusible :
à dire tout on passerait le plus gros livre
qui soit nulle part ; aussi vaudra-t-il mieux
que de tous ces noms-là je me repose.
860 Car je crois bien vous en avoir appris assez
pour évoquer un démon, tant fût-il revêche !
Ah ! non, laissons cela ! La pierre philosophale
qu’élixir on dénomme, nous la cherchons tous ardemment,
car si nous la tenions, alors nous serions saufs ;
mais, au Dieu du ciel j’en fais l’aveu,
malgré tout notre art, quand nous avons tout fait,
et toute notre adresse, point ne veut nous venir.
Elle nous a fait dépenser force bien,
ce qui nous rend presque fous de chagrin,

  1. Tous les deux, c’est-à-dire le savant et l’ignorant.