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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/555

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brillant que le soleil ; là, le corps, naguère maladif, frêle et faible et mortel, est immortel et si fort et si sain que rien ne pourra lui nuire ; là, n’est ni soif, ni faim, ni froid, ainsi chaque âme est portée à la perfection par la vue et la connaissance de Dieu. Ce règne de béatitude, les hommes peuvent l’acquérir par la pauvreté en esprit, cette gloire par l’humilité ; cette abondance de joie par la faim et la soif ; et le reste par l’excès de leur labeur ; et la vie par la mort et la mortification du péché.


Ici l’auteur du livre prend congé de ses lecteurs.


« Maintenant je prie tous ceux qui entendent lire ce petit traité ou le lisent, s’il renferme quelque chose qui leur plaise, d’en remercier Notre Seigneur Jésus-Christ, dont procèdent toute intelligence et toute bonté, Et si le traité renferme quelque chose qui leur déplaise, je les prie aussi de l’attribuer à la faute de mon ignorance, et non à ma volonté, laquelle aurait bien volontiers dit mieux si j’avais eu science. Car notre livre dit : tout ce qui est écrit est écrit pour nous instruire, et telle est mon intention. Or donc je vous supplie humblement au nom de Dieu miséricordieux, de prier pour moi, afin que Christ ait miséricorde et me pardonne mes péchés et, nommément, mes traductions et éditions de vanités terrestres, lesquelles je répudie dans mes rétractations : telles sont le livre de Troilus, le livre de Renommée, le livre des Dix-neuf Dames ; le livre de la Duchesse ; le livre de la Saint-Valentin du Parlement des Oiseaux ; les Contes de Canterbury, pour autant qu’ils induisent en péché ; le livre du Lion, et maints autres livres si je me les rappelais, et maint chant et maint lai luxurieux, que Christ, dans sa grande miséricorde, m’en pardonne le péché ! Mais pour la traduction de Boëce de Consolatione et autres livres de légendes des Saints, d’homélies, moralité et dévotion, j’en remercie Notre Seigneur Jésus-Christ et sa mère bienheureuse et tous les saints du ciel, les suppliant dorénavant et jusqu’à la fin de ma vie, de m’envoyer la grâce de pleurer mes péchés et de m’appliquer au salut de mon âme : et de m’accorder la grâce de faire vraie pénitence, confession et satisfaction en cette présente vie ; par la bienveillante grâce de Celui qui est roi des rois, prêtre dessus tous prêtres, qui nous racheta du précieux sang de son cœur ; afin que je sois l’un de ceux qui au jour du jugement seront sauvés : qui cum patre, etc[1]. »


Ci finit le livre des Contes de Canterbury, compilé par Geoffroy Chaucer, de l’âme duquel puisse Jésus-Christ avoir miséricorde. Amen.
  1. Si cette conclusion est de Chaucer, il faut supposer qu’il l’écrivit quand il était vieilli au point de n’être plus lui-même. Il est plus probable que la pieuse main qui remania le Conte du Curé, prêta au poète cette condamnation édifiante de ses meilleures œuvres. Dans tous les cas, ce serait, selon les termes mêmes de la dernière page, non la conclusion d’un des Contes de Canterbury, mais d’un « petit traité » de dévotion indépendant de la série.