Nous luttons comme faisaient les chiens pour un os ;
ils se battirent tout le jour, et pourtant leur part fut nulle ;
survint un épervier, tandis qu’ils se livraient à leur rage,
et il emporta l’os qui les divisait.
Et donc, à la cour du roi, frère,
chaque homme pour lui-même, il n’y a pas d’autre règle.
Aime s’il te fait plaisir ; pour moi j’aime et aimerai toujours ;
et en vérité, mon cher frère, voilà le dernier mot.
Ici dans cette prison il nous faut rester,
et subir, chacun de nous, sa fortune. »
Grande fut la querelle et longue entre eux deux,
si j’avais loisir de la raconter ;
mais au fait. Il arriva un jour
(pour vous dire la chose aussi brièvement que je puis)
qu’un noble duc nommé Pirithoüs,
lequel était camarade du duc Thésée
depuis le temps où ils étaient de jeunes enfants,
vint à Athènes, pour y voir son ami,
et s’y réjouir avec lui, comme il avait coutume de faire,
car en ce monde il n’aimait aucun homme autant ;
et Thésée l’aimait en retour aussi tendrement.
Ils s’aimaient de telle affection, à ce que disent les vieux livres[1],
que quand l’un fut mort, (en bonne vérité),
son ami, pour le chercher, descendit aux enfers ;
mais cette histoire je n’ai pas à la narrer.
Le duc Pirithoüs aimait chèrement Arcite,
et l’avait connu à Thèbes mainte et mainte année ;
et finalement, à la requête et prière
de Pirithoüs, sans aucune rançon,
le duc Thésée le laissa sortir de prison,
pour aller librement, partout où il lui plairait,
aux conditions que je vais vous dire.
Voici quelle était cette convention, pour parler clair,
entre Thésée et lui Arcite :
s’il arrivait qu’Arcite fût trouvé,
jamais en sa vie, de jour ou de nuit, un seul moment,
dans aucune terre de Thésée,
- ↑ Les vieux livres ; entendez ici Le Roman de la Rose, v. 8186, où Chaucer a trouvé cet incident.