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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/88

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les larmes maudites et les lamentations ;
les traits enflammés du désir
que les serviteurs de l’amour endurent en cette vie ;
les serments qui assurent les pactes de Vénus ;
plaisance et espoir, désir, folle audace,
beauté et jeunesse, volupté et richesse,
magie et violence, mensonges, flatterie,
dépense, soins et jalousie, —
laquelle portait de soucis jaunes une guirlande,
1930et un coucou perché dessus sa main ; —
fêtes, musique, rondes, danses,
déduit et parure, et toutes les circonstances
de l’amour, qu’il me faut compter et compter,
étaient peintes en ordre sur le mur,
et plus nombreuses que je ne saurais dire.
Car en vérité, tout le mont Cithéron,
où Vénus a sa principale demeure,
était montré en portrait sur le mur,
avec tout le jardin et les joyeux déduits.
1940Et l’on n’avait pas oublié le portier Oisiveté[1],
ni Narcisse le joli du temps jadis,
ni encore la folie du roi Salomon,
ni encore la grande force d’Hercule,
les enchantements de Médée et de Circé,
non plus que Turnus au cœur hardi et fier,
et le riche Crésus, captif en servage.
Ainsi pouvez-vous voir que sagesse ni richesse,
beauté ni ruse, force ni hardiesse,
ne peuvent avec Vénus tenir champ parti[2] ;
1950car à son gré elle peut lors mener le monde.
Voyez ! toutes ces gens furent si pris en ses lacs
que d’angoisse ils dirent souvent « hélas ! »
Il suffit ici d’un exemple ou deux,
et pourtant j’en pourrais compter mille encore.
La statue de Vénus, glorieuse à voir,
était nue flottant sur la vaste mer,
et au-dessous du nombril elle était couverte

  1. Oisiveté est le portier du jardin de Beauté (la rose) dans le Roman de la Rose
  2. Tenir champ parti, i. e. balancer la victoire.