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Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/90

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l’ire cruelle, rouge comme une braise ;
le coupe-bourse et aussi la pâle peur ;
le traître souriant avec le couteau sous le manteau ;
2000l’étable embrasée avec la noire fumée ;
la traîtrise du meurtre dans le lit ;
la guerre ouverte, avec plaies tout saignantes ;
le combat avec couteau sanglant et âpre menace.
Tout plein de grincements était ce triste lieu.
Là aussi j’ai vu le suicide, —
le sang de son cœur a trempé tous ses cheveux ;
j’ai vu le clou enfoncé dans le crâne la nuit ;
la froide mort couchée sur le dos, bouche béante.
Emmi le temple siégeait malechance
2010avec angoisse et visage désolé.
De même j’ai vu démence riant dans sa rage ;
plaintes armées[1], hurlements et furieux outrages ;
le cadavre dans le hallier, la gorge tranchée ;
mille gens massacrés et non morts de peste ;
le tyran, avec sa proie arrachée par violence ;
la ville détruite où rien plus ne restait.
De même j’ai vu s’embraser les navires dansants ;
le chasseur étranglé par les ours sauvages ;
la truie dévorant l’enfant au berceau même ;
2020le cuisinier ébouillanté, malgré sa longue louche.
Rien n’était oublié par la funeste influence de Mars :
le charretier écrasé par son char,
sous la roue il gît à plat ventre.
Il y avait aussi sous l’empire de Mars
le barbier, et le boucher, et le forgeron
qui forge les glaives tranchants sur son enclume.
Et tout en haut, peinte dans une tour,
j’ai vu la Victoire assise en grand honneur
avec le glaive tranchant au-dessus de sa tête,
2030pendant à une ficelle ténue.
Là étaient peints les meurtres de Julius[2],
du grand Néron, et d’Antoine ;
bien qu’en ce temps-là ne fussent point nés,

  1. Plaintes armées, allusion probable aux soulèvements populaires sous Richard II (Wat Tyler). Le peuple se plaint et prend les armes ; cf. v. 2459.
  2. Julius, i. e. Jules César.