Page:Chaudon, Delandine, Goigoux - Dictionnaire historique, tome 1.djvu/24

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va, dans les dispositions de l’oncle et de la nièce, un moyen de satisfaire la passion qu’Héloïse lui avait inspirée. Il avait alors 39 ans. Il proposa à Fulbert de le prendre en pension, sous prétexte qu’il aurait plus de temps pour l’instruction de son élève. Abailard la rendit bientôt sensible ; ils s’occupaient plus de leur passion que de leurs études ; et, comme dit Abailard dans une de ses lettres : plura erant oscula quam sententiæ, sapius ad sinum quam ad libros deducebantur manus. L’attachement mutuel du maître et de l’écolière fixant l’attention du public, Fulbert voulut les séparer mais il n’était plus temps : Héloïse portait dans son sein le fruit de sa faiblesse. Abailard l’enleva, et la conduisit en Bretagne, où elle accoucha d’un fils qu’on nomma Astralabe ou astre brillant, et qui ne vécut point. Il fit proposer à Fulbert d’épouser Héloïse, pourvu que leur mariage demeurât secret. Les deux époux reçurent la bénédiction nuptiale ; mais l’oncle ne crut pas devoir faire un mystère d’une chose qui réparait l’honneur de sa nièce. Héloïse, à qui la prétendue gloire d’Abailard était plus précieuse que la sienne propre, nia leur union avec serment. Fulbert, irrité de cette conduite, la traita avec une rigueur extrême. Son époux la mit à l’abri de son ressentiment dans le monastère d’Argenteuil, où elle avait été élevée. Fulbert, s’imaginant qu’Abailard voulait faire Héloïse religieuse pour s’en débarrasser, conçut un projet de vengeance atroce et l’exécuta. Il aposta des gens qui entrèrent dans la chambre d’Abailard pendant la nuit, et lui firent subir, avec un rasoir, une mutilation infame, dont la trace

et l’effet devaient empoisonner le reste de ses jours. Le lendemain toute la ville apprit cet attentat et en fut indignée. Fulbert fut arrêté, dépouillé de ses bénéfices et exilé ; deux de ses gens furent jugés, et subirent la peine du talion. Ces actes de justice ne consolèrent point Abailard. Cet époux infortuné alla cacher son chagrin dans l’abbaye de St.-Denis en France, où il se fit religieux. Il avait eu auparavant un canonicat à Paris. Héloïse prenait en même temps le voile à Argenteuil, moins en chrétienne qui se repent, qu’en amante désespérée. Dans le moment où elle allait recevoir l’habit religieux, elle récita des vers de Lucain, qui faisaient allusion à ses aventures. Cependant les disciples d’Abailard le pressaient de reprendre ses leçons publiques : il ouvrit d’abord son école à Saint-Denis et ensuite à Saint-Ayeul ou (Ayoul) de Provins. L’affluence des étudians y fut si grande, que quelques auteurs en font monter le nombre jusqu’à trois mille. Les succès d’Abailard réveillèrent la jalousie des autres maîtres. Soit zèle, soit vengeance ils se déclarèrent contre son Traité de la Trinité, qui avait été reçu de ses disciples avec un applaudissement universel. Condamné au concile de Soissons vers 1121, il le fut de nouveau à celui de Sens en 1140, à la poursuite de Saint Bernard. Ce célèbre réformateur y dénonça les propositions d’Abailard, et le pressa de les nier ou de se rétracter. Il ne fit ni l’un ni l’autre, et sortit brusquement du concile, en s’écriant qu’il en appelait à Rome. Les évêques n’ayant rien décidé, par respect pour le pape, employèrent la plume de Saint Bernard, qui rendit compte au Souverain Pon-