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CHARLES GUÉRIN.

à cette différence près, que l’un avait, pour bien dire, harassé ses facultés intellectuelles, pendant que l’autre avait fatigué les siennes, tout juste ce qu’il fallait pour les développer convenablement. Il en résultait que Pierre Guérin, plus mûr d’ailleurs et plus calme, était plus en état que son frère de répondre à la question embarrassante, qui se dresse comme une apparition, au bout de tous les cours d’études, dans tous les pays du monde.

Que faire ? — Cela se demande de soi-même, mais la réponse ne vient pas comme on veut. Plus le choix est circonscrit, plus il est difficile, et chacun sait que dans notre pays, il faut se décider entre quatre mots, qui, chose épouvantable, se réduisent à un seul, et se résumeraient en Europe dans le terme générique de doctorat. Il faut devenir docteur en loi, en médecine, ou en théologie, il faut être, médecin, prêtre, notaire, ou avocat. En dehors de ces quatre professions, pour le jeune Canadien instruit, il semble qu’il n’y a pas de salut. Si par hasard quelqu’un de nous éprouvait une répugnance invincible pour toutes les quatre ; s’il lui en coûtait trop de sauver des âmes, de mutiler des corps, ou de perdre des fortunes, il ne lui resterait qu’un parti à prendre, s’il était riche, et deux s’il était pauvre ; ne rien faire du tout, dans le premier cas, s’expatrier ou mourir de faim, dans le second.

Sous tout autre gouvernement que sous le nôtre, les carrières ne manquent pas à la jeunesse. Celui qui se voue aux professions spéciales que nous venons de nommer, le fait parce qu’il a, ou croit avoir, des talens, une aptitude, une vocation spéciale. Ici au contraire, c’est l’exception qui fait la règle. L’armée et sa gloire bruyante ; si belle par là-même qu’elle est si péniblement achetée ; la grande industrie commerciale ou manufacturière, que l’opinion publique a élevée partout au niveau des professions libérales, et sur laquelle Louis-Philippe a fait pleuvoir les croix de la légion d’honneur ; la marine na-