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CHARLES GUÉRIN.

belles couleurs, et y a d’aucuns p’tits frisés de la ville qui pourraient ben le trouver à r’dire… mais par exemple vous en avez ben qu’trop à c’t’heure des couleurs… Voyons, voyons, vous fâchez pas contre la Mi-carême, qui vient de ben loin pour vous apporter ce beau cornet, ous’qu’il y a du sucre, des dragées et toutes sortes de bonnes choses. »

Cette allocution débitée avec les gestes les plus comiques eut, comme on peut bien le croire, un succès prodigieux, qui ne fut rien cependant, comparé aux applaudissemens qu’obtint le discours suivant adressé au frisé de la ville : « Ah ça toé, j’cré que j’devrais t’donner plus qu’un cornet de dragées. Après tout’j’suis qu’la Mi-carême, et avec ton air de mauvaise humeur, et ta face pâle, t’as ben d’lair d’être un carême tout du long !… T’as beau faire le fier, vas ; j’te connais ben, et j’sais ben qu’en ville tu t’gênes pas de manger du lard avant l’jour de Pâques… Tu fais la grimace, hein ?… mais j’m’en moque pas mal ! J’ai vu d’plus gros messieus qu’toé… et j’en verrai encore ben d’autres ; car tu sauras que j’suis v’nue au monde du temps des apôtres, et que j’roulerai tant que l’monde s’ra monde… C’pendant comme t’as fait un fameux bout d’carême c’t’année, grâce à mam’zelle Marichette, je vas toujours ben t’donner un cornet à toé aussi. Seulement il faut qu’tu m’embrasses !

Nous ne saurions donner une idée de la joie que causa cette proposition à toute la compagnie.

— En v’la-t-il un’ fameuse farce !

— Va-t-i en avaler du tabac, l’Messieu !

— J’estimerais ben autant embrasser n’importe quoi !

— Farçeuse de Mi-carême, vas !

— Tiens i s’décide… i va l’embrasser !

— Non, il l’embrassera pas !

— Gageons un’ bouteille de rhum qu’il l’embrassera pas !

— Gageons en effette !